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− | Pour aller sur Yoma, je dois commencer par me vider la tête de tout ce que je crois savoir depuis ma naissance et de tous nos concepts bien terriens. Même si, comme sur Terre, les plantes y poussent du sol pour monter vers le ciel, que la couleur du ciel y est presque la même et que la forme humanoïde des créatures intelligentes qui le peuplent nous ressemblent, les lois vitales y sont si |
+ | Pour aller sur Yoma, je dois commencer par me vider la tête de tout ce que je crois savoir depuis ma naissance et de tous nos concepts bien terriens. Même si, comme sur Terre, les plantes y poussent du sol pour monter vers le ciel, que la couleur du ciel y est presque la même et que la forme humanoïde des créatures intelligentes qui le peuplent nous ressemblent, les lois vitales y sont si différentes qu’il m’aura fallu un effort considérable d’ouverture d’esprit pour les comprendre et, surtout, les accepter comme étant une autre forme de normalité. Dans ma sphère culturelle propre, je pensais voir juste. Je considérais que les choses devaient forcément être comme je le percevais, comme je le concevais depuis toujours, et comme tous mes semblables me le montrent à chaque instant. J’ai dû prendre conscience que cette sphère culturelle n'est qu'une paire de lunettes filtrantes plus ou moins grossière, posée par-dessus ma vision, m’imposant ainsi une forme de normalité qui ne pouvait être remise en question. L'Univers est bien trop vaste pour que l'on puisse l'appréhender avec un seul cerveau. J’entrevois même qu’il ne s’agisse pas d’un univers, mais d’un multivers qui n’a de limite que ce que nos croyances nous imposent – croyances que nous nous forgeons par rapport à notre environnement naturel propre et qui constituent la base de l’environnement culturel que nous nous construisons. La question que j’ai dû me poser a été : « Qu'est-ce que ma réalité ? » La réalité n'est-elle que ce que je crois qu'elle est, conditionnée par mon existence de terrien depuis ma naissance ? Cette croyance est-elle transmissible aux autres ? Ne s’étend-elle pas pour devenir leur réalité à eux aussi ? N’est-ce pas plutôt le contraire qui se produit ? La réalité ne m’est-elle pas imposée par l’ensemble des croyances communément admises par la plus grande majorité de mes semblables, au point que je ne l’ai jamais remise en doute ? |
Les réponses à ces questions me sont parues évidentes au cours de mes premiers voyages sur Yoma : Ma réalité, notre réalité humaine n’est pas la seule existante. |
Les réponses à ces questions me sont parues évidentes au cours de mes premiers voyages sur Yoma : Ma réalité, notre réalité humaine n’est pas la seule existante. |
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− | Quand Yoma s’est dévoilé devant mes yeux, ce fut un choc brutal, bouleversant toutes mes certitudes et me poussant de prime abord au rejet. J’ai commis l’erreur de le juger et même, dans mon for intérieur, de le condamner. N’étant pas d’un naturel belliqueux, ma réaction a été que les yomank avaient besoin de mon aide, de notre aide, de notre morale à nous, terriens évolués, qui savons mieux que tout l’univers ce qui doit être ou ne pas être bon pour lui. Je me sentais l’âme d’un missionnaire propageant la parole d’un dieu unique et, sans m’en rendre véritablement compte, je comptais reproduire ce que mes ancêtres ont voulu faire, jadis, en imposant un modèle unique de pensée à tous ces peuples communément considérés comme primitifs et barbares. Maintenant, je m’interroge de savoir qui étaient vraiment les barbares. Aucun individu ne voyage seul et sans bagage. On emporte toujours tout son environnement avec soi et le voyage mental n'échappe pas à cette règle. Il faudra donc que, pour comprendre ces êtres, je commence par lancer mes bagages dans une oubliette pour m’ouvrir à leurs différences. Comme je le disais plus haut, c’est plus facile car il n’y a rien de physique à changer. S’ajouter un doigt à une main mentale est bien moins éprouvant que de s’en greffer un sur une main physique. En tout cas, pour moi. |
+ | Quand Yoma s’est dévoilé devant mes yeux, ce fut un choc brutal, bouleversant toutes mes certitudes et me poussant de prime abord au rejet. J’ai commis l’erreur de le juger et même, dans mon for intérieur, de le condamner. N’étant pas d’un naturel belliqueux, ma réaction a été que les [[yomank]] avaient besoin de mon aide, de notre aide, de notre morale à nous, terriens évolués, qui savons mieux que tout l’univers ce qui doit être ou ne pas être bon pour lui. Je me sentais l’âme d’un missionnaire propageant la parole d’un dieu unique et, sans m’en rendre véritablement compte, je comptais reproduire ce que mes ancêtres ont voulu faire, jadis, en imposant un modèle unique de pensée à tous ces peuples communément considérés comme primitifs et barbares. Maintenant, je m’interroge de savoir qui étaient vraiment les barbares. Aucun individu ne voyage seul et sans bagage. On emporte toujours tout son environnement avec soi et le voyage mental n'échappe pas à cette règle. Il faudra donc que, pour comprendre ces êtres, je commence par lancer mes bagages dans une oubliette pour m’ouvrir à leurs différences. Comme je le disais plus haut, c’est plus facile car il n’y a rien de physique à changer. S’ajouter un doigt à une main mentale est bien moins éprouvant que de s’en greffer un sur une main physique. En tout cas, pour moi. |
− | Ma curiosité était la plus forte et, je l’avoue, un certain voyeurisme. Elles sont belles, à leur façon, ces créatures végétales. Des fleurs aux couleurs chatoyantes qui marchent, courent, aiment, se font parfois souffrir et meurent. Leurs formes humanoïdes m'intriguèrent. Ce que j’ai remarqué en premier était leur poitrine. Une paire de seins semblables à celle de nos femmes terriennes sur des fleurs, ce n’est à priori pas logique. Elles semblaient de plus en être très fières, les mettant en valeur dès qu’elles en avaient l’occasion avec des ornements variés et raffinés. La réponse à cette question me vint vite : Les yomank sont des mammifères. Elles sont végétales certes, mais avec une physiologie de mammifère parce que c’est une forme mieux adaptée à leur mode de vie déracinée et nomade. Elles donnent naissance à des bébés qu’elles allaitent en se déplaçant, les tenant dans leurs bras ou dans une grande feuille portée en bandoulière à la bonne hauteur pour que l’enfant puisse téter à volonté. Ce système leur donne plus d’autonomie pour pouvoir faire face aux dangers de leur monde. Pour le reste, elles ont deux bras avec des mains au bout, deux jambes entre les cuisses desquelles je voyais un orifice qu’elle n’avait pas la pudeur de cacher – ce qui me mettait mal à l’aise, au début – une tête avec deux grands yeux, un nez plutôt plat mais présent et une bouche bordée de lèvres joliment faites pouvant avoir toutes les couleurs. Elles n'avaient aucun poil ou peut-être un peu de duvet comme on en trouve au dos de certaines feuilles telles que celles de nos noisetiers. À la place de leurs cheveux leur poussaient de longs et fins fils ornés de petites feuilles et fleurs colorées. Chaque yomank montre une harmonie chromatique qui lui est propre, avec une couleur dominante sur laquelle se dessinent les autres. Ainsi, il est assez facile de les reconnaître entre elles, et même de retrouver leurs liens parentaux car une grande partie de leur aspect se transmet de mère en fille, le reste provenant probablement du père mushank. |
+ | Ma curiosité était la plus forte et, je l’avoue, un certain voyeurisme. Elles sont belles, à leur façon, ces créatures végétales. Des fleurs aux couleurs chatoyantes qui marchent, courent, aiment, se font parfois souffrir et meurent. Leurs formes humanoïdes m'intriguèrent. Ce que j’ai remarqué en premier était leur poitrine. Une paire de seins semblables à celle de nos femmes terriennes sur des fleurs, ce n’est à priori pas logique. Elles semblaient de plus en être très fières, les mettant en valeur dès qu’elles en avaient l’occasion avec des ornements variés et raffinés. La réponse à cette question me vint vite : Les [[yomank]] sont des mammifères. Elles sont végétales certes, mais avec une physiologie de mammifère parce que c’est une forme mieux adaptée à leur mode de vie déracinée et nomade. Elles donnent naissance à des bébés qu’elles allaitent en se déplaçant, les tenant dans leurs bras ou dans une grande feuille portée en bandoulière à la bonne hauteur pour que l’enfant puisse téter à volonté. Ce système leur donne plus d’autonomie pour pouvoir faire face aux dangers de leur monde. Pour le reste, elles ont deux bras avec des mains au bout, deux jambes entre les cuisses desquelles je voyais un orifice qu’elle n’avait pas la pudeur de cacher – ce qui me mettait mal à l’aise, au début – une tête avec deux grands yeux, un nez plutôt plat mais présent et une bouche bordée de lèvres joliment faites pouvant avoir toutes les couleurs. Elles n'avaient aucun poil ou peut-être un peu de duvet comme on en trouve au dos de certaines feuilles telles que celles de nos noisetiers. À la place de leurs cheveux leur poussaient de longs et fins fils ornés de petites feuilles et fleurs colorées. Chaque [[yomank]] montre une harmonie chromatique qui lui est propre, avec une couleur dominante sur laquelle se dessinent les autres. Ainsi, il est assez facile de les reconnaître entre elles, et même de retrouver leurs liens parentaux car une grande partie de leur aspect se transmet de mère en fille, le reste provenant probablement du père [[mushank]]. |
− | J’ai bien vite compris aussi que leurs existences |
+ | J’ai bien vite compris aussi que leurs existences est brèves. Entre trente et quarante de leurs années qu’elles appellent des "cycles", ou "[[naté]]" dans leur langue. La façon dont elles meurent m’a bouleversé. Après une existence d’une apparente éternelle jeunesse, elles fanent tout à coup et disparaissent en quelques jours en éprouvant de terribles souffrances. La vie peut parfois être très cruelle. Cet instant de la mort naturelle les terrorise au point qu’elles le fuient, abandonnant leurs mourantes dans la forêt ou dans leurs maisons. Celles qui ont le plus de chance sont celles dont la famille éprouve assez de compassion pour surmonter leurs peurs. Quand la mère est morte, les filles déposent le corps dans la forêt pour le rendre à Yoma et aux êtres qui vont s’en nourrir. Les [[yomank]] n’ont pas de cimetière. Et je me suis longtemps étonné de cela, pensant qu’elles n’avaient pas de culte mortuaire. Mais c’était une erreur. |
− | Il est toutefois un fait : Les yomank préfère célébrer la vie que la mort. Et cette vie, elle la célèbre à travers les cultes qu’elles portent au payü. Je dis "les" cultes car il en existe deux principaux bien distincts. J’ai parlé déjà des shank et pas encore des grelank. Nous allons donc voir maintenant ce qui les oppose et les maintient dans une guerre fratricide perpétuelle. |
+ | Il est toutefois un fait : Les [[yomank]] préfère célébrer la vie que la mort. Et cette vie, elle la célèbre à travers les cultes qu’elles portent au [[payü]]. Je dis "les" cultes car il en existe deux principaux bien distincts. J’ai parlé déjà des [[shank]] et pas encore des [[grelank]]. Nous allons donc voir maintenant ce qui les oppose et les maintient dans une guerre fratricide perpétuelle. |
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Version actuelle en date du 22 décembre 2024 à 11:30
Notes de voyage sur Yoma - II - Transformation
Pour aller sur Yoma, je dois commencer par me vider la tête de tout ce que je crois savoir depuis ma naissance et de tous nos concepts bien terriens. Même si, comme sur Terre, les plantes y poussent du sol pour monter vers le ciel, que la couleur du ciel y est presque la même et que la forme humanoïde des créatures intelligentes qui le peuplent nous ressemblent, les lois vitales y sont si différentes qu’il m’aura fallu un effort considérable d’ouverture d’esprit pour les comprendre et, surtout, les accepter comme étant une autre forme de normalité. Dans ma sphère culturelle propre, je pensais voir juste. Je considérais que les choses devaient forcément être comme je le percevais, comme je le concevais depuis toujours, et comme tous mes semblables me le montrent à chaque instant. J’ai dû prendre conscience que cette sphère culturelle n'est qu'une paire de lunettes filtrantes plus ou moins grossière, posée par-dessus ma vision, m’imposant ainsi une forme de normalité qui ne pouvait être remise en question. L'Univers est bien trop vaste pour que l'on puisse l'appréhender avec un seul cerveau. J’entrevois même qu’il ne s’agisse pas d’un univers, mais d’un multivers qui n’a de limite que ce que nos croyances nous imposent – croyances que nous nous forgeons par rapport à notre environnement naturel propre et qui constituent la base de l’environnement culturel que nous nous construisons. La question que j’ai dû me poser a été : « Qu'est-ce que ma réalité ? » La réalité n'est-elle que ce que je crois qu'elle est, conditionnée par mon existence de terrien depuis ma naissance ? Cette croyance est-elle transmissible aux autres ? Ne s’étend-elle pas pour devenir leur réalité à eux aussi ? N’est-ce pas plutôt le contraire qui se produit ? La réalité ne m’est-elle pas imposée par l’ensemble des croyances communément admises par la plus grande majorité de mes semblables, au point que je ne l’ai jamais remise en doute ?
Les réponses à ces questions me sont parues évidentes au cours de mes premiers voyages sur Yoma : Ma réalité, notre réalité humaine n’est pas la seule existante.
Quand Yoma s’est dévoilé devant mes yeux, ce fut un choc brutal, bouleversant toutes mes certitudes et me poussant de prime abord au rejet. J’ai commis l’erreur de le juger et même, dans mon for intérieur, de le condamner. N’étant pas d’un naturel belliqueux, ma réaction a été que les yomank avaient besoin de mon aide, de notre aide, de notre morale à nous, terriens évolués, qui savons mieux que tout l’univers ce qui doit être ou ne pas être bon pour lui. Je me sentais l’âme d’un missionnaire propageant la parole d’un dieu unique et, sans m’en rendre véritablement compte, je comptais reproduire ce que mes ancêtres ont voulu faire, jadis, en imposant un modèle unique de pensée à tous ces peuples communément considérés comme primitifs et barbares. Maintenant, je m’interroge de savoir qui étaient vraiment les barbares. Aucun individu ne voyage seul et sans bagage. On emporte toujours tout son environnement avec soi et le voyage mental n'échappe pas à cette règle. Il faudra donc que, pour comprendre ces êtres, je commence par lancer mes bagages dans une oubliette pour m’ouvrir à leurs différences. Comme je le disais plus haut, c’est plus facile car il n’y a rien de physique à changer. S’ajouter un doigt à une main mentale est bien moins éprouvant que de s’en greffer un sur une main physique. En tout cas, pour moi.
Ma curiosité était la plus forte et, je l’avoue, un certain voyeurisme. Elles sont belles, à leur façon, ces créatures végétales. Des fleurs aux couleurs chatoyantes qui marchent, courent, aiment, se font parfois souffrir et meurent. Leurs formes humanoïdes m'intriguèrent. Ce que j’ai remarqué en premier était leur poitrine. Une paire de seins semblables à celle de nos femmes terriennes sur des fleurs, ce n’est à priori pas logique. Elles semblaient de plus en être très fières, les mettant en valeur dès qu’elles en avaient l’occasion avec des ornements variés et raffinés. La réponse à cette question me vint vite : Les yomank sont des mammifères. Elles sont végétales certes, mais avec une physiologie de mammifère parce que c’est une forme mieux adaptée à leur mode de vie déracinée et nomade. Elles donnent naissance à des bébés qu’elles allaitent en se déplaçant, les tenant dans leurs bras ou dans une grande feuille portée en bandoulière à la bonne hauteur pour que l’enfant puisse téter à volonté. Ce système leur donne plus d’autonomie pour pouvoir faire face aux dangers de leur monde. Pour le reste, elles ont deux bras avec des mains au bout, deux jambes entre les cuisses desquelles je voyais un orifice qu’elle n’avait pas la pudeur de cacher – ce qui me mettait mal à l’aise, au début – une tête avec deux grands yeux, un nez plutôt plat mais présent et une bouche bordée de lèvres joliment faites pouvant avoir toutes les couleurs. Elles n'avaient aucun poil ou peut-être un peu de duvet comme on en trouve au dos de certaines feuilles telles que celles de nos noisetiers. À la place de leurs cheveux leur poussaient de longs et fins fils ornés de petites feuilles et fleurs colorées. Chaque yomank montre une harmonie chromatique qui lui est propre, avec une couleur dominante sur laquelle se dessinent les autres. Ainsi, il est assez facile de les reconnaître entre elles, et même de retrouver leurs liens parentaux car une grande partie de leur aspect se transmet de mère en fille, le reste provenant probablement du père mushank.
J’ai bien vite compris aussi que leurs existences est brèves. Entre trente et quarante de leurs années qu’elles appellent des "cycles", ou "naté" dans leur langue. La façon dont elles meurent m’a bouleversé. Après une existence d’une apparente éternelle jeunesse, elles fanent tout à coup et disparaissent en quelques jours en éprouvant de terribles souffrances. La vie peut parfois être très cruelle. Cet instant de la mort naturelle les terrorise au point qu’elles le fuient, abandonnant leurs mourantes dans la forêt ou dans leurs maisons. Celles qui ont le plus de chance sont celles dont la famille éprouve assez de compassion pour surmonter leurs peurs. Quand la mère est morte, les filles déposent le corps dans la forêt pour le rendre à Yoma et aux êtres qui vont s’en nourrir. Les yomank n’ont pas de cimetière. Et je me suis longtemps étonné de cela, pensant qu’elles n’avaient pas de culte mortuaire. Mais c’était une erreur.
Il est toutefois un fait : Les yomank préfère célébrer la vie que la mort. Et cette vie, elle la célèbre à travers les cultes qu’elles portent au payü. Je dis "les" cultes car il en existe deux principaux bien distincts. J’ai parlé déjà des shank et pas encore des grelank. Nous allons donc voir maintenant ce qui les oppose et les maintient dans une guerre fratricide perpétuelle.