Dialogue dans la crypte
100822
Dernière rumeur autour de la cathédrale : Des gardes et un moine noctambule auraient aperçu, très tard dans la nuit, deux humaines traînant une sin'dorei jusque dans la cathédrale. Constatant que l'une des humaines n'était autre que la prêtresse-légat Emiade, ils ne sont pas intervenu. Le moine serait ensuite sorti devant la cathédrale et aurait expliqué aux gardes que les deux femmes auraient enchaîner la sin'dorei dans la crypte nord. Tous semblaient très surpris car ils ne pouvaient s'attendre à un tel comportement de la part de la prêtresse. La deuxième femme étant masquée, personne ne put savoir qui elle était.
- T'es contente de toi j'suppose ?
- Contente de t'avoir retrouvée, oui. Contente que tu sois enchaînée ainsi, non. Mais tu ne me laisses guère le choix.
- T'as raison. J'te conseille même de m' tuer maint’nant, avant que j'puisse te l'faire à toi, Frangine.
Elle avait prononcé le mot avec un sourire malsain, ironique et rempli de sa haine la plus sordide. Lethalew avait été capturée et livrée à l’Église par des amis d’Emiade.
- Je sais que tu me hais au point de vouloir me tuer. Mais il va falloir que tu m'expliques pourquoi.
- Te tuer? Haha! Tu sais, y a des trucs pires qu'la mort.
- Je prendrais le risque. Tu es la seule famille se sang qu’il semble me rester. Je veux savoir ce qui nous a séparées et ce qu’il advenu de nos parents. Alors raconte moi. Après, nous y verrons plus clair.
- J'ai rien à t'raconter, frangine, libère moi ou tue moi. T'as pas d'autre choix.
- Notre père, qu'est-il devenu ?
- Tu d'vrais l' savoir. C'est avec toi qu'il s'est barrée c't'ordure. Lui aussi, si j'l'attrape, y va r’gretter c'qu'il a fait d'moi.
- Tu sembles tenir toujours le même discours, Lethalew. Mais je n'ai jamais connu notre père. Pourquoi dis-tu qu'il m'a choisie?
- Tais-toi! tu mens. Il a préféré une bâtarde comme toi plutôt qu'sa braie fille. J'devrais être morte d’puis si longtemps que j'crois qu'je l'suis d’jà un peux. Mais t'as vu, j'suis là. J'ai juste assez d'vie pour la vengeance. J'me vengerais ou j'mourrais pour de bon.
- Te venger de quoi ?
- Me venger d'qui, plutôt. De toi et du père. De vous deux qui m'avez laissée comme une merde dans les égouts d'Lune d'Argent. T'imagine même pas c'que j'ai dû faire pour survive. Mais la souffrance nous rend fort, hein ! je suis dev'nue forte.
Et elle éclata d’un rire à faire peur même à une liche. Emiade contenait beaucoup d’amour en elle, suffisamment pour supporter la haine de de sa demi-sœur. Emiade avait aussi une irrésistible envie de savoir pourquoi, il y a 18 ans, on l’avait retrouvée dans un panier sur les marche d’une abbaye. Qui l’avait amenée-là ? La haine de sa sœur ne l’effrayait pas assez pour la décourager.
- Lethalew, je ne vais pas dire que je suis pour rien dans ce qu'il t'est arrivé. Mais je peux te dire que je ne l'ai pas voulu et que je ne le savais pas. Je n'ai jamais connu notre père. Je ne connaissais pas ton existence non plus avant qu'on me la révèle. Quand je l'ai apprise, j'ai voulu tout de suite te connaître. J'ai une sœur, moi qui ne sais même pas où je suis née, qui ne connais pas non plus ma vraie mère. J'ai grandie chez les frères à Comté du Nord, dans une abbaye. Tu vois, je devenue prêtresse et j'ai une grande foi en la Lumière. J'ai espoir que tu vas comprendre et changer d'attitude envers moi parce que je suis ta sœur et que tu es la mienne et que c'est comme ça.
- Cause toujours! T'as l'air d'aimer ça. Blablabla... Dans ta tête j'suis ta sœur. Moi j'ai pas d'famille et j'ai pas envie d'en avoir une, surtout avec une bâtarde d'humaine. T'as rien d'une sin'doreï. J'te connais que parce que j'dois t'faire payer la vie qu'tu m'as volée. Tu pourras jamais m'la rendre.
- Peut-être. Je ne peux pas te la rendre ni changer ce qu'il s'est passé. Mais je peux te donner un avenir meilleur que celui que tu as connu. Si tu m'acceptes. Ou même si tu ne m'acceptes pas mais que tu renonces à tes projets de vengeance. J'ai beaucoup à te donner, tu sais ?
- Hahaha! À m'donner quoi ? D'l'or, des beaux vêtements d'rupin ? Une maison à Hurlevent? P't-être un mari d'ta race ? J'en veux pas d'tout ça. J'te dis, si tu veux m'donner quelqu' chose, donne moi ta vie, donne moi ta p'tite tronche de prêtresse bien nourrie et que je la r'fasse à ma manière. Donne moi ton corps que j'lui prenne tout c'qu'on a prit au mien. Donne moi ton âme que j'la vide, comme la mienne est vide. Tu sais c'que j'veux ? Juste t'faire cuir à p'tit feu au d'ssus des braises et que ça dure le plus longtemps possible. Après, j’te donn’rai à bouffer au goules.
- Tu m'en veux tant que ça ? Tu me fais déjà souffrir. Tu tortures mon cœur qui bat pour toi. Chacun de tes mots est une coup de dague. Chacun de tes rires est un coup de hache qui me tranche en deux. Oh! Lethalew, tu me fais déjà souffrir et j'accepte cette souffrance si c'est le seule moyen de t'ouvrir les yeux et de te retrouver.
- C'est... pas assez. J' veux qu'tu brûles en enfer pour l'éternité, qu'des démons s'amusent avec toi comme... on s'est amusé avec moi d'puis qu'j'suis née. J'veux...
- Tu changerais d'avis si j'acceptais de souffrir pour toi ? Tu ouvrirais les yeux et tu me croirais enfin si je me jetais dans un enfer ? Pour te prouver mes dires, je serais prête à satisfaire tes désirs. Tu pourras toujours meurtrir mon corps comme tu le fais déjà pour mon cœur. Mais, Lethalew, tu ne pourras jamais avoir mon âme. Mon âme vibre pour tout ceux que j'aime. Elle vibre pour toi aussi. C'est ainsi.
- Ton âme... Ne m’fais pas rire. Tu dois pas en avoir. Crève! Va-t-en avant que ma rage ne brise mes chaînes. Fuis ! Je sens les ténèbres monter en moi... Emiade, va-t-en... va-t-en !
La rage de la sin’dorei était telle que sa bouche écumait, que son visage était devenu violet et tout son corps s’était raidi comme un arc prêt à décocher sa flèche. Elle était tombée dans un état entre l’enfer des larmes et celui de la colère. Emiade avait dû toucher quelque chose dans le cœur de sa sœur qu’elle regardait avec une compassion à la fois triste et tendre. Emiade aussi souffrait. Une souffrance silencieuse. Mais au fond de son âme, elle sentait une sorte de joie car la pire des choses qui aurait pu lui arriver serait que sa propre sœur ne ressente rien pour elle. La haine que la sin’doreï contenait et dont elle semblait si fière prouvait qu’elle n’était pas indifférente. Si la haine est là, alors l’amour n'est pas loin derrière et, en cet instant, ses larmes et ses cris prouvaient qu’il y avait de l'espoir. Restait encore à trouver les mots ou la magie qui la métamorphoserait. « La foi peut cela. Mais ce sera long » pensa-t-elle.
- Je trouverais le chemin de ton cœur, Lethalew. Tu donnes un sens à ma vie, sans le savoir. Tu matérialises à toi seule le combat de toute ma vie. Je t'aime et tu n'y changeras rien. Plus tu me haïra et plus je t'aimerai. Prend la main que je te tend. Saisie-là pour toi, pour que ta vie à toi devienne plus supportable, pour que le bonheur y entre et l'illumine. Prend ma mains, Lethalew.
- Tais-toi! Va-t-en! Laisse-moi pourrir ici. La paix, j’la trouverai quand j’arracherai ta main, ou quand tu s’ra morte. Va-t-en !
Emiade remonta lentement les lourdes marches qui menaient à la surface du monde, là haut dans le nef de la cathédrale. Les vociférations de sa demi-sœur s’affaiblissaient jusqu’à devenir imperceptibles pour les quelques fidèles qui priaient. Mais Emiade les entendaient toujours. Les « va-t-en » résonnaient encore dans sa tête et le monde réel semblait désormais fermé à sa conscience qui était toute occupée par celle-là qui voudrait l’éteindre. Elle alla s’agenouiller devant l’autel et pria longtemps, longtemps, pour Lethalew, la sin'doreï, la sœur de demi-sang de la prêtresse de Hurlevent, cette ville insouciante qui se moquait bien de tout cela.
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