Bekkayoa - La conception de Suni

De imagina
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Aucune grelank ne s'aventure seule dans cette partie de la forêt profonde à une heure si avancée du crépuscule. Une légende raconte qu’une variété particulière de mushank, le t’mipayü, y abonde. Ce mushank en forme de liane avec de multiples ramifications chacune terminée par un payü, est un prédateur très particulier. Il rampe dans les makkoya et dans l’humus à la recherche de ses proies pour les féconder sans leur consentement. Les lianes s’enroulent autour des membres de sa proie pour s’en saisir sans ménagement pendant que d’autres la féconde. Plus la victime résiste, plus les lianes se resserrent jusqu’à l’étouffement, la douleur et, à l’extrême, l’écrasement et la mort. Quand une yomank devine la présence d’un t’mipayü, c’est qu’il est déjà trop tard. Chez les grelank, la légende dit aussi que celles qui survivent à une telle agression deviennent folles et que l’engeance produite sera violente, indomptable, plus sauvage encore qu’une shank et maudite à jamais. La conséquence pour la victime, si elle venait à être découverte, est la mise à mort par le feu avec son germe maudit. Peut-être que les mères grelank ne racontent cette histoire à leurs filles que dans le but de les dissuader de s’aventurer seules dans la forêt profonde car je n’ai jamais entendu un seul témoignage que cela ait pu arriver en dehors des contes. Toutefois les shank, qui vivent en permanence dans les forêts, apprennent dès le plus jeune âge à se préserver de ce dangereux mushank car, elles, savent qu’il ne faut pas prendre les légendes à la légère.

Pour Bekkayoa, l’objectif n’était certainement pas d’éviter les mushank. Elle sentit tout d’abord son pied droit pris dans un anneau qui monta très rapidement en spirale autour de sa jambe gauche. Le cœur de la grelank accélérait mais elle garda le contrôle de sa frayeur en maîtrisant sa respiration. Elle frémit d’excitation et poussa un petit cri aigu avant de fermer les yeux pour se laisser glisser dans les sensations de ce contact hors du commun. Ses émotions la remplissait d’une sorte d’extase qui emportaient son esprit loin du raisonnable. La liane serpentait de plus en plus vite jusqu’au haut de sa jambe. Puis, une autre s’enroula à son tour à sa jambe droite. Alors que la première cessait son ascension en haut de la cuisse pour atteindre le but de son ascension, la seconde continua sa course jusqu’au cou autour duquel elle s’enroula pour obliger la grelank à basculer en arrière. La chute fut adoucie par les fines tiges des maakoya toujours pleines de bienveillances pour les yomank. Une troisième, une quatrième, jusqu’à une bonne demi douzaine de tentacules vinrent s'ajouter aux deux premières, enlaçant fermement les bras et la taille de la grelank, la maintenant fermement au sol. Il n’y avait plus qu’une seule option : Attendre que la nature termine son œuvre. Bekkayoa se laissa aller au plaisir physique en jouissant en plus de la joie plutôt malsaine de faire une chose qu’aucune autre yomank n’oserait. Plaisir, douleur, il n’y avait plus de différence et cela dura longtemps. C’est ainsi que Suni fut conçue, l’unique fille de la sipru de Fahanis à cette époque.

Le t’mipayü qui l’avait choisie ce soir là faisait preuve d’une particulière ardeur. Ce n’était pas la première fois que Bekkayoa avait affaire à ce prédateur. La première fois, ce fut une rencontre accidentelle. Instinctivement, la grelank comprit que résister serait vain. Alors elle décida de se laisser faire et d’affronter la douleur pour survivre. Il se produisit toutefois un phénomène qui la surprit : Elle y prit du plaisir. La violence du coït lui avait donné des sensations qui aurait dû la terroriser mais, au contraire, elle y prit plaisir. Était-ce une perversion ? Cette première rencontre avec le t’mipayü avait fait naître en elle le désir de le revivre à nouveau. La première semence ne donna pas de fruit. La deuxième non plus. Mais ce jour-là fut le bon et le germe de Suni y fut planté. Épuisée, Bekkayoa se s’endormit sur place plusieurs heures avant de retourner en ville. Elle parvint sans difficulté à cacher sa grossesse. Personne en ville ne remarqua rien. Elle ne devint pas folle et sa fille put grandir tout à fait normalement sans éveiller aucun soupçon. Bekkayoa aura de nombreuses autres rencontres avec des t’mipayü par la suite mais sans aucun résultat : Suni n’aura jamais de sœurs. C’est peut-être la seule conséquence, si s’en était une, qui pourrait laisser penser à une malédiction.

Les pratiques sexuelles des yomank sont très libres mais certaines règles, ou plutôt certains usages défiant le bon sens ne sont pas approuvés par les communautés, tant chez les grelank que chez les shank. Bekkayoa savait à quoi elle s'exposait en se laissant aller à une telle pratique. Elle était toutefois assez habile pour savoir comment ne pas éveiller l’attention de ses semblables sur ses zones d’ombres. Elle ne sera jamais découverte. Elle avait acquis la certitude que la légende était fausse, que coïter avec ce mushank n’avait rien de néfaste. Dangereux, certes, mais sans effet sur la progéniture. Elle continua donc secrètement à errer seule dans la foret dans l’unique but de satisfaire l’excitation que cela lui procurait. Cette pratique devint pour elle une drogue dont elle ne pouvait plus se passer et, au final, ne pas avoir d’autre enfant l’arrangeait bien.

Le comportement de Suni est surtout le fruit de l’éducation que sa mère lui a inculquée. Une éducation stricte donnée dans un cadre plus que confortable qui ne laissait pas la place au doute. Ses instincts naturels n’avaient pas leur place, ceux-ci se trouvant relégués dans les couches les plus profondes de sa conscience. Même si les désirs subsistent, leur expression s’inscrivait dans une dimension culturelles, esthétique, en s’exprimant dans des moments de loisirs, quand le travail à faire était fini et que le temps du repos était venu. De fait, ces désirs prenaient parfois des formes exubérantes et excentriques. Bekkayoa, avait construit une vie sur des principes de droiture morale, de discipline dans le travail avec une grande rigueur. Mais seulement en apparence. Cette conception de sa vie l’avait conduite vers les sommets du système social et économique de sa ville. Elle était très respectée et beaucoup de jeunes filles rêvaient de travailler pour elle afin de profiter de cette richesse, de cette notoriété, protégées par tout ce pouvoir. Mais quand les instincts refoulés remontent à la surface, dans des lieux et des temps de solitude, la morale vole doucement en éclats. Quand tout le monde dort, quand l’attention et la tension se relâchent, des désirs sauvages se faufilent en se frayant sournoisement un chemin vers le jour. Ils tentent de renouer avec le monde réel depuis cette partie oubliée de l’être en lui procurant des sensations et des émotions fortes, quitte à frôler la mort. Qui, parmi nos semblables, l’en blâmerait ?

Bekkayoa est morte en 1381 – selon le calendrier grelank – après avoir vécu 43 cycles sans que jamais personne, y compris Suni, ne découvrit son secret. La seule chose qui intrigua ses contemporaines était qu’elle n’avait eu qu’une seule fille, ce qui était rare chez les yomank. Ce mystère donnera une couleur particulière à la mémoire de la Sipru de Fahanis.




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