L’enfance d’Emiade : Différence entre versions
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Version du 7 avril 2020 à 11:05
Il s'agit d'une histoire très banale. Le genre d'histoire que l'on raconte souvent sur l’enfance de personnages des contes depuis la nuit des temps. Emiade a été retrouvée dans un panier de bonne taille, sur les marches d'une abbaye, celle de Comté du Nord, dans la Forêt d'Elwynn, non loin de la grande cité légendaire de Hurlevent. Personne ne sut qui l'avait déposée ici comme une offrande aux dieux ou à la Lumière. Sans doute que les gardes avaient dû s'assoupir à ce moment-là, ou qu'ils ont été charmés par quelque sortilège de sorcier. Ils n'ont rien remarqué de plus qu’un petit bruit, comme un craquement, que l’un d'eux crut entendre avant de se retourner pour constater que le panier était là, sur la dernière marche, silencieux. Il s'approcha alors et découvrit avec stupeur ce qu'il y avait dedans : Un bébé, étrangement calme, qui lui souriait. Le soldat courut prévenir les moines, mais à cette heure de la nuit, ils dormaient déjà tous. Sauf un : Frère Neals. Dans sa course, le garde faillit le renverser alors que le frère apparaissait dans l’encadrement de la porte ouverte sur l’escalier qui menait au beffroi. Frère Neals veillait souvent tard. Il n'était pas rare de le croiser dans les couloirs, titubant, et déblatérant des phrases incompréhensibles pour le commun des mortels. Sans doute s'agissait-il de transes mystiques favorisées par l'absorption plutôt massive du bon vin des vignes de Milly Osworth, breuvage qu’il affectionnait tout particulièrement.
Quand le prêtre entendit les propos plutôt décousus du soldat un peu paniqué, il alla les vérifier de ses propres yeux. L'enfant, qui était resté avec l'Adjoint Willem, ne faisait toujours aucun bruit. Frères Neals le sortit de l'osier et, à bout de bras, le scruta intensément. « C'est une fille » dit-il avant de le remettre dans son panier. Il saisit l’anse et emporta la trouvaille vers le réfectoire. Là, il chercha du lait. Il en trouva dans une cruche en grès. Il n’était plus de toute première fraîcheur, mais ferait sans doute l’affaire. De toute façon, il y avait des lustres que Frère Neals ne savait plus quel goût avait ce liquide blanchâtre mais il savait que les petits humains en buvaient dans leurs premières années et, visiblement, ce bébé n’avait guère plus que quelques semaines. Il en versa dans une petite bouteille au bout de laquelle il plaça de façon très savante un morceau de tissu pour servir de tétine. Il prit le bébé et porta ce biberon improvisé à ses lèvres. Celui-ci en but un peu et s'endormit. Attendri par le sommeil serein de l’enfant, le prêtre l’emportant dans le beffroi, là où il vivait, et la nuit redevint tout à fait normale.
Le lendemain matin, Frère Neals fit part de son aventure de la nuit à Sœur Anetta, la prêtresse instructrice et intendante de l'abbaye. Celle-ci en fut amusée et se dit qu’il s’agissait probablement d’un nouveau délire du frère. Mais quand celui-ci porta le panier sous ses yeux, elle se rendit à l’évidence que, pour une fois, il ne délirait pas. Sur les conseils de la sœur, Frère Neals lui laissa l’enfant et se rendit à la cité de Hurlevent pour y vérifier qu'un avis de recherche n'avait pas été publié sur sa disparition. Personne n'avait entendu parler d'aucun enfant perdu ni d'aucun enlèvement de bébé. Il alla ensuite auprès du bureau de recensement pour y déclarer sa découverte. L'agent recenseur Bathrilor fut tout d’abord surpris, connaissant Frère Neals de réputation. Mais, ce matin-là, Neals semblait différent. Il était à jeun. A une heure aussi avancée de la matinée, ce n’était pas habituel. L’agent proposa alors à Neals de garder l'enfant le temps de faire des recherches. Neals dut alors remplir quelques papiers administratifs, mais à la première question de la première ligne du premier formulaire, il buta sur la rubrique « nom ». Puis sur la rubrique « date de naissance ». Puis, sur la ligne suivante, sa plume resta muette sur la case « Lieu de naissance ». Et ainsi de suite sur toutes les lignes suivantes : « nom du père », « de la mère »... Il n'y eu qu'à la ligne « sexe » qu'il put répondre « féminin » sans hésiter. Il prit alors conscience de ce qu'était un statut d'orphelin et il s'émut au point que deux larmes perlèrent au coin de ses deux yeux. Cette enfant n’était personne. Elle devint quelqu’un dans le cœur du vieil homme. Dans son for intérieur, il sut alors que son destin serait désormais lié à elle et qu’il fallait l’aider à devenir une personne avec une véritable existence. Il le sentit si profondément qu'il ne lui vint même pas à l'esprit qu'il puisse exister quelque part un parent qui la réclamerait un jour. Il fallait donc commencer par lui donner un nom. Le mot « Emiade » se présenta alors à sa conscience sans qu'il ne sache trop pourquoi ni comment. Un mot qui n'a pas de sens, qui ne veut rien dire, mais qui sonne comme le nom d'une enfant humaine, trouvée sur les marches de la maison de la Lumière au milieu de la grande forêt d’Elwynn. Il l’inscrivit donc dans la première rubrique du formulaire. Pour toutes les autres, il inscrivit « inconnu ». C’est ainsi qu’Emiade échappa à l’orphelinat.
De retour à l'abbaye, il alla tout droit vers Sœur Anetta afin de lui faire part de ce qu'il avait ressenti à Hurlevent, dans le bureau de l'administrateur. Elle en fut touchée et comprit. Elle lui dit: « Te voilà avec une lourde responsabilité maintenant. J'espère que tu y réfléchiras à deux fois avant de vider ta prochaine bouteille de vin de Milly. Mais n'aie crainte, je t'aiderai à l'élever. » Pour la bouteille, frère Neals y réfléchira effectivement deux fois, mais cela ne l'empêchera pas de la boire. Un peu moins vite, tout de même. Il prit sa nouvelle responsabilité avec un grand sérieux et se lança avec une joie profonde dans l’éducation d’Emiade qu'il considéra comme sa propre fille pendant toute son enfance. Et même après. Sa vie monastique ne lui permettait pas de la voir aussi souvent qu’il l’aurait souhaité mais Sœur Anetta, les soldats en factions au comté ainsi que les autres prêtres et nones, s'occupaient tous un peu d'elle. Hormis quelques petites maladies bénignes d’enfant, Emiade grandit donc sans douleur. Très tôt, elle montra des dons évidents pour l'étude et pour la magie lumineuse. Sœur Anetta lui enseigna tout ce qu'elle devait savoir sur ce sujet, complétant ainsi l’enseignement plus philosophique de Neals.
Mais, très vite, Emiade se construisit une autre vie. Une seconde nature l'attirait sans cesse vers la forêt. Elle aimait s'y perdre, seule, au grand dam de ses tuteurs qui s'inquiétaient à cause des loups errants dans les alentours. Étrangement, les loups ne l'attaquaient pas. Pour eux, elle faisait partie de la forêt au même titre qu'un arbre, une fleur, le vent ou un ruisseau. Elle passait des heures à courir d'un endroit à un autre, à grimper aux arbres, à observer les oiseaux, les lapins, les écureuils, à sentir les parfums enivrants des plantes, à leur parler, à leur raconter ces petites histoires. Elle rentrait de plus en plus tard le soir car elle tenait absolument à rencontrer la Lune afin de lui confier toutes ses petites aventures de petite fille. En tant qu'orpheline et « fille unique » d’un prêtre un peu fou et n’étant déjà plus très jeune, Emiade s’inventa une famille composée de toutes ces créatures vivantes de la nature qui l'entouraient. Le vent, la rivière étaient comme ses parents. Les animaux comme ses frères et sœurs. Les arbres étaient ses oncles et les fleurs ses cousines. Quant à la Lune, elle avait un statut particulier. Elle la considérait, et la considère encore souvent, comme sa meilleure amie, sa confidente. Elle ressentait pour Frère Neals une profonde affection et une immense reconnaissance. Elle appréciait sa vie auprès de tous les autres membres de la communauté de l'abbaye. Mais elle savait sans doute d'instinct, tout au fond de son cœur, qu'ils n'étaient pas sa vraie famille. Emiade se sentait, dès son plus jeune âge, la "fille de la forêt d'Elwynn", même si elle ne le disait pas à haute voix comme elle le fit souvent plus tard.
C’est alors qu’elle jouait assise au pied d’un arbre, entourée d’écureuils qu’un autre personnage entra dans sa vie. Un elfe de la nuit. Il était vêtu d'une grande robe brune et verte qui le rendait presque invisible parmi les arbres. Elle le vit s'approcher malgré tout d’assez loin et l'elfe ne sembla pas s'en étonner. Il se dirigeait droit vers elle avec un démarche lente, assurée mais tranquille. Elle n'avait encore jamais vu d'elfe. Quand il arriva à quelques mètres, c'est elle qui parla la première : « Comme tu es beau ! Tu es qui ?
- Je suis Ziltharnia, protecteur de cette forêt » répondit-il. « Mais tu peux dire Zil, plus simplement. Et toi, jeune humaine ?
- Je suis Emiade. J'habite ici... enfin là-bas, dans la grande maison à prières. Pourquoi es-tu là ? "Protecteur", ça veut dire quoi ? Tu es de la même couleur que la forêt. J'aimerais bien avoir la même robe que toi. Je... »
L'elfe lui coupa la parole et, d’un air amusé, il dit : « Oh là ! Pas toutes ces questions à la fois petite Emiade. Tu sembles bien excitée. Calme-toi, nous avons le temps. "Protecteur" ça veut dire que je veille sur la forêt, que je la soigne quand elle est malade et que je la débarrasse des créatures nuisibles qui tentent de lui faire du mal. Voilà ce que je fais là. Es-tu une créature nuisible ?’
Emiade ne vit pas que la question était posée sur le ton de la plaisanterie. Elle recula subitement, un peu comme si elle voulait dégainer une arme mais elle n’en avait pas. Elle resta campée sur ses pieds, regardant l'elfe droit dans les yeux, cherchant à deviner ses intentions. Très vite, elle se ravisa en constatant qu'il n'y avait aucune méchanceté, ni aucune menace dans le regard de l'elfe.
« Détend-toi jeune fille » dit-il. « Déjà très fougueuse, n'est-ce pas! Je ne te ferai aucun mal. Je crois que tu n'es pas une créature nuisible, bien au contraire. Je vais t'enseigner quelques petites choses sur cette forêt. Si tu le désires bien sûr. Le désires-tu?
- Oh ouiiiii ! » répondit-elle, passant brutalement de son état défensif à celui d'une enfant joyeuse, sautant de joie comme si elle allait avoir un bonbon. L’elfe demanda : « Sais-tu ce que sont les dragons ?
- Non ! Enfin si ! Ce sont des grandes bêtes ailées qui crachent du feu dans les livres que je lis à la bibliothèque de ma maison. Mais frère Neals me dit que ça n'existe pas, que ce sont des contes pour les enfants.
- Frère Neals ne te dit pas la vérité. Les dragons existent. Ce sont eux qui sont les vrais gardiens de ce monde, de la nature, de cette forêt et de toutes les autres. Tu as sans doute entendu parler des Titans qui ont construit ce monde?
- Un peu oui. Anetta m'en a parlé. Ils devaient être très forts pour construire un monde aussi grand !
- Oui, ils étaient très forts. Mais comme ils avaient d’autres mondes à s’occuper, ils ont dû partir et ont confié ce monde à cinq grands dragons. Je vais te dire leur nom. Il y a Alexstrasza, le dragon rouge de la vie, reine de tous les dragons. Il y a Nozdormu, le dragon jaune, maître du temps. Il y a Ysera la Rêveuse, petite sœur d'Alexstrasza, et dragon vert du rêve. Il y a Malygos, que l’on appelle aussi Main de la Magie car il est le dragon bleu, maître de la magie. Enfin il y a Neltharion, dragon noir de la terre et gardien des morts. Retiens bien leurs noms car ils sont un peu comme tes grands ancêtres.
- Des dragons ? Mes ancêtres ? C'est impossible, je suis une petite fille !
- Tu sais, il y a beaucoup de façons d'être une petite fille. Maintenant, je dois partir. Mais je peux revenir pour continuer à t'apprendre des choses. Le désires-tu ?
- Ouiiiiii !
- Alors tu me croiseras à nouveau dans la forêt. Et si un jour tu as des ennuis ou un tourment quelconque, prononce mon nom dans le vent. Appelle Zil le druide. Et je viendrai. Au revoir, jeune Emiade, et fais attention à toi. »
Et sans qu'elle n'ait eu le temps de répondre, l'elfe avait disparu sous son regard étonné et émerveillé. Elle murmura dans un léger souffle : « Au revoir Zil, le druide. »
De retour à l'abbaye, elle ne raconta pas cette rencontre à frère Neals. Ni à Anetta. Mais elle leur demanda ce que pouvait bien être un druide. Ils lui expliquèrent alors que c'était une sorte de prêtre sans église et sans dieu, qui connaissait toutes de choses sur les forces de la nature et qui fricote quelque peu avec les démons. Des personnes pas vraiment fréquentables, donc. Emiade ne pensait pas du tout que son elfe forestier n’était "pas fréquentable". Elle décida donc de ne jamais leur parler de lui car elle craignait qu'ils lui interdisent de le revoir et ça, elle ne l'accepterait pas.
Elle revit effectivement assez souvent le bel elfe druide. Presque toujours à la tombée de la nuit, peu avant que la lune monte dans le ciel. Il lui apprit que le nom de son astre préféré était Elune. Il lui apprit aussi que les elfes s'appelaient « Kal’doreï », qu'ils avaient été les premiers être civilisés à peupler cette planète qui n'avait qu'un seul continent appelé "Kalimdor" à cette époque. Il lui expliqua que cet unique continent s’était cassé en plusieurs morceaux à cause d'une certaine Azshara. Il lui apprit encore ceci, cela et bien d’autres choses sur les dragons devenus méchants et que le monde n’était pas toujours très beau, etc. Bref, elle apprit énormément de choses qu’il serait bien trop long de raconter ici. Emiade eut donc deux éducations spirituelles parallèles : celle de son tuteur et de la grande prêtresse de l'abbaye d'un côté, et celle du druide de la forêt de l'autre. La seconde était comme un rêve. La première était bien plus réelle et son don pour la Lumière l’emporta. Elle devint très vite une vraie prêtresse en aidant Anetta dans ses offices.
A l'adolescence, elle avait acquis les bases de son esprit combatif grâce à sa faculté à distinguer le bien du mal. Ce n’était pas bien difficile. Le bien était la Lumière et le mal étaient les Ténèbres. Elle commença à découvrir le sens de sa mission qui fit naître en son cœur une profonde reconnaissance envers son Roi qui soutenait l’Église, et son peuple qu’elle avait appris à aimer en appliquant avec sincérité les trois préceptes de la Lumière : Respect, ténacité et bienveillance. Frère Neals lui enseignait l’histoire d’Azeroth, vu selon le clergé, ainsi que la doctrine pendant que Sœur Anetta lui apprenait à maîtriser la magie lumineuse pour soigner et pour combattre. La petite était douée et compris très vite la manière de châtier les ennemis de la Lumière. Pendant ce temps, en secret, Ziltharnia lui racontait la mythologie des grands ancêtres et les guerres tragiques des premiers âges. Pour compléter tout cela, elle s'entraîna au maniement d’armes plus matérielles avec l’adjoint Willem. Elle aimait surtout le combat au bâton à deux mains, mais elle se sentait un peu frustrée de ne pouvoir porter d'armure de métal ou de bouclier bien trop lourds et mal adaptés pour sa discipline. Pendant l’entraînement, elle se donnait à fond car elle adorait bouger avec son corps, sentir ses muscles travailler jusqu'à ressentir cette douce douleur d’un corps meurtri par les courbatures après l’effort. Alors elle allait s'allonger dans l'herbe et se laissait aller au rêve d'une vie héroïque de batailles contre les mauvaises créatures de la Légion Ardente que les moines lui avaient appris à détester. Dans ses rêves, ne voyait-elle pas un beau guerrier, fort et intrépide qui l'emmenait à travers le monde à la conquête de royaumes oubliés ? Et elle s'endormait avec cette image épique. Comme beaucoup de jeunes filles de tous les mondes, elle rêvait d'un prince charmant.
Emiade continua de grandir et devint une belle jeune fille. Quand elle passait près d’eux, les garçons ne la regardaient plus comme avant, mais comme elle restait plus de temps avec les animaux qu'avec les humains, elle ne s'en était pas aperçue tout de suite. Elle le constata parce qu’elle-même ne les regardait plus de la même façon. Avant, ils étaient là mais elle ne les voyait pas. Il lui arrivait parfois de jouer avec des enfants de son âge mais c’était comme s’ils étaient tous du même sexe. Quelque chose changea qui provoqua en elle des sensations nouvelles et mystérieuses. Lorsqu’elle croisait certains garçons, non seulement elle les voyait mais aussi elle ressentait comme un frémissement dans tout le corps qui ressemblait à celui du vent dans les feuilles de la forêt, parfois léger, parfois plus violent. Son cœur se mettait à battre plus fort. Parfois si fort, qu'elle n'avait d'autre solution que de se sauver pour le cacher. Elle se dit que ce devait être de la peur. En fait, elle avait peur. Un jour, elle en parla à Anetta qui lui sourit avec bienveillance et lui parla de l'amour, des garçons et des filles, des bébés et tout ça. Elle lui dit que c'était naturel et qu'il ne fallait pas qu'elle s'inquiète. « Tu dois simplement l'assumer tout en restant prudente et ne pas tomber dans les bras du premier venu... ni même du dernier, d’ailleurs » lui dit Anetta. Emiade pensa alors à sa vision du prince flamboyant de ses rêves et se dit en elle-même : « si un jour je dois me donner à un garçon comme la nature l’exige, j'aimerais qu'il ressemble à celui-là ». Un jour, Ziltharnia lui avait dit qu'elle avait un cœur ressemblant en tout point à un petit écureuil qui sautille de branche en branche dès que le vent souffle. L'image de l'écureuil lui allait comme un gant et cela l'amusa au point qu'elle la garda à l’esprit constamment, considérant ce nouveau compagnon virtuel comme un petit frère de plus. Elle tombait donc assez facilement amoureuse des jeunes-hommes de la région mais tout se passait surtout entre elle et sont écureuil qu'elle apprenait ainsi à domestiquer en lui parlant. Elle parlait à son cœur. Elle n'eut jamais de vrai relation avec aucun de ces jeune gens.
Cela dura jusqu'à ce que l'adjoint Willem lui demande d'aller voir le maréchal McBride car il avait un petit travail à lui confier. La veille, frère Neals lui avait dit des choses bizarres, comme quoi elle était grande maintenant, qu'elle allait devoir mettre en pratique tout ce qu'il lui avait appris, qu'il n'était pas éternel et qu'il faudra bien qu'elle apprenne à se débrouiller toute seule, etc. Elle savait déjà fort bien se débrouiller toute seule alors pourquoi lui disait-il cela ? Elle le comprit lors de cette première mission où elle dut aller tuer quelques Kobolds. « Tuer des kobolds! » Il fallait tuer des êtres vivants ! Malgré tout ce qu'on pouvait dire pendant les cours et l’entraînement, passer à la pratique, à la réalité concrète de l'action meurtrière n'est pas si facile que cela. Certes, les kobolds sont des créatures plutôt hideuses et stupides, ne méritant que du mépris ou de la pitié. Mais fallait-il vraiment qu'on les tue ? D’après le maréchal, il y en avait trop et ils envahissaient le territoire sans l’ombre d’un scrupule. N'y avait-il pas d'autres solutions ? Ne pourrait-on pas leur apprendre à se comporter gentiment, à se socialiser et leur permettre de s’intégrer à la communauté ? Ne pourraient-ils pas, par la force de la patience et de la persuasion, apprendre eux aussi à rendre service au pays ? C’était le genre de question qu’Emiade se posait. Mais elle savait aussi trancher dans le vif quand il le fallait, et ne pas se laisser aller aux doutes trop longtemps. Elle prit donc son bâton et alla occire sans plus hésiter le nombre de kobold demandés. Mais pas un de plus. Les autres ont le droit de vivre. C'est ainsi qu'elle passa l’épreuve pour faire son entrée dans le monde des adultes.
Il est impossible de terminer cette histoire sans évoquer une chose moins gaie qui ne s’était pas encore passée mais qui est toutefois liée à son enfance. Un jour, Ziltharnia, sur un ton très sérieux et inhabituel se mit à lui parler de quelque chose qu'elle ne comprit que bien plus tard. Voici ce qu'il lui dit :
« Il faut que je te dise Emiade. Tu es une enfant du bien, un être au cœur pur. Mais aucune pureté ne peut être sans être accompagnée de son contraire. Il existe quelque part en ce monde, un être qui te hait très fort. Tu ne le connais pas et lui non plus. Mais il sait que tu existes et te cherchera pour te détruire. Je ne peux te dire son nom car je ne le connais pas. Un jour viendra où tu devras le rencontrer et ce jour te sera connu car plus il approchera, plus tu le ressentiras dans ta chair et dans ton âme. Ce sera un grand mal que tu devras maîtriser. Ce sera très difficile et peut-être seras-tu vaincue. Mais si tu es victorieuse, alors tu seras plus forte que jamais car tu auras vaincu la haine. A celle-ci succédera une réconciliation qui changera toute ta vie. Profite bien de tout ce que je t'enseigne, ainsi que de ce qu'enseignent tes maîtres dans ton abbaye. Prend tout ce qu'on te donne et rend le à fond dans tes entraînements et dans toutes les missions que l’on te confiera. N'ai peur de rien ! »
Après ces mots de son ami elfe, elle resta silencieuse. Elle s'interrogea longtemps sur le sens de ce qu’il lui avait dit. Elle entrait tout juste dans le monde des adultes et son esprit ne parvenait pas à accéder encore à certaines conceptions de ce monde qui lui paraissaient souvent absurdes ou incohérentes. Mais elle retint une chose : le mot « réconciliation ». Il lui plaisait ce mot et elle se dit « Si les gens qui se haïssent parvenaient à se réconcilier, la paix reviendrait, c'est évident ». C'est sans doute très naïf, mais c'est pourtant si vrai. Un nouveau rêve naissait en elle. Un rêve auquel elle avait vraiment du mal à croire elle-même. Ce rêve ne la quittera jamais plus. Son maître elfique a probablement choisi ce moment exactement pour cette raison : Emiade était maintenant assez mure pour entrevoir le sens de ce présage, mais encore assez jeune pour concevoir des rêves. C'était bien le bon moment. A partir de cette date, elle revit Ziltharnia de moins en moins souvent jusqu'à ce qu'il ne revint plus du tout. Elle avait alors dix-sept ans.
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